Pourquoi les habitants des pays industrialisés deviennent-ils moins fertiles ? C'est l'une des questions cruciales auxquelles tente de répondre Déborah Bourc'his à travers ses recherches. Elle explore les mécanismes épigénétiques qui influencent la reproduction des mammifères.

Au-delà de la génétique

L'information génétique seule ne détermine pas tout le fonctionnement d'une cellule, ni tous les caractères héréditaires d’un organisme. À l'ADN viennent s'ajouter des marques dites épigénétiques, « au-dessus des gènes ». Parmi celles-ci, le processus de méthylation. Il s'agit ni plus ni moins de la transmission d’un groupe méthyle (un atome de carbone lié à 3 atomes d’hydrogène) d’une molécule à une autre.

Cette adjonction, que l'on peut voir comme une « couche supplémentaire » à l'information génétique, est décisive pour la production des cellules reproductrices, les ovules et les spermatozoïdes. Les cellules peuvent transmettre leur méthylation à l’embryon au moment de la fécondation : tout comme le code génétique, cette information parentale influence les traits normaux ou pathologiques de la descendance. Autrement dit, tout n'est pas joué d'avance !

Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant 2017 - Déborah Bourc'his

Des enzymes qui protègent les spermatozoïdes

Pour comprendre le déclin de la fertilité humaine dans les pays industrialisés, l’équipe de Déborah Bourc’his examine les mécanismes qui façonnent les profils de méthylation et les facteurs qui les influencent. Forte de plus de quinze ans de recherches sur le sujet, la scientifique a apporté des contributions clefs à son domaine d'expertise. Elle a notamment identifié une nouvelle enzyme, DNMT3C. Celle-ci méthyle très sélectivement des séquences génétiques parasites mobiles appelées transposons, et protège les spermatozoïdes contre leur activité anarchique.

Avant cette découverte majeure, elle avait prouvé que l'enzyme DNMT3L est associée à la protection des futurs spermatozoïdes contre l'effet délétère des transposons ainsi qu'à l'établissement de l'empreinte génomique dans les ovules.

Le soutien de la fondation

Grâce au soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, Déborah Bourc’his et son équipe peuvent approfondir leurs recherches sur ces fameux transposons. Ils explorent aussi le rôle de la méthylation en aval de la fécondation. Ils étudient en particulier l’influence épigénétique qu’exercent nos parents sur nos caractères, via l’empreinte génomique.

L’équipe s’intéresse notamment à la programmation irréversible de la taille des individus par ce mécanisme, dès les premiers jours de l’embryon. Les résultats de ces recherches pourraient se révéler cruciaux pour contrer les effets négatifs de régimes maternels inadaptés et des perturbateurs endocriniens.

Déborah Bourc'his en quelques mots

Déborah Bourc'his explore une niche fascinante : le rôle de l'épigénétique dans la reproduction. Doctorante, elle démontre que la reprogrammation épigénétique dans l'embryon précoce est anormalement régulée dans les embryons clonés et dans certaines pathologies héréditaires. Post-doctorante, elle prouve que l'enzyme DNMT3L joue un rôle clef dans la protection des futurs spermatozoïdes contre des parasites génétiques appelés transposons.

De retour à Paris à l'Institut Curie, elle étudie l'inégalité fonctionnelle entre les génomes parentaux. Elle démontre que les marques de méthylation issues de la mère ont une influence dominante sur le développement de l'embryon. Récemment, elle a identifié avec son équipe DNMT3C, une enzyme de protection des spermatozoïdes, ainsi qu'un nouveau mécanisme qui affecte la taille des individus à l’âge adulte.

Portrait de Déborah Bourc’his, lauréate du Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant 2017 et doctorante étudiant les mécanismes épigénétiques qui régissent la formation et la spécialisation de nos cellules reproductrices, les gamètes, à l'Institut Curie à Paris. ©Christophe Acker/CAPA Pictures pour la Fondation Bettencourt Schueller
  • 2000 Doctorat de génétique humaine, Université Paris Diderot, Paris

  • 2000 Post-doctorat dans le laboratoire du Professeur Timothy Bestor, Columbia University, New York (États-Unis)

  • 2005 Chargée de recherche Inserm, Institut Jacques Monod puis Institut Curie, Paris

  • 2009 Chef de l'équipe « Décisions épigénétiques et reproduction chez les mammifères », Institut Curie, Paris

  • 2013 ERC Consolidator Grant

  • 2017 Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant

Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant

Le Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant récompense chaque année un chercheur de moins de 45 ans pour l’excellence de ses travaux et sa contribution remarquable à son domaine de recherche scientifique. Ce prix est attribué selon les années à un chercheur établi en France ou travaillant dans un autre pays d'Europe. Vingt-sept lauréats ont été récompensés depuis 1997. A partir de 2023, la dotation de ce prix récompense personnellement le lauréat à hauteur de 100 000 euros.

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