Que se passe-t-il pour qu'un amas de cellules devienne un embryon bien formé dans le ventre d'une mère ? Thomas Lecuit compte bien répondre à cette question fascinante. Depuis des années, il explore l'architecture et la plasticité des tissus épithéliaux, tissus composés de cellules juxtaposées qui tapissent la face interne des organes.

Comment fabrique-t-on un embryon ?

Depuis les années 1980, la compréhension du développement de l'embryon a fait des progrès prodigieux. Il peut même être résumé assez simplement. La génétique est en quelque sorte le « plan de construction » du corps. Ce code génétique se déploie sous forme de molécules chimiques. Celles-ci envoient des instructions aux cellules, pour leur signaler le rôle qu'elles doivent remplir, ou encore la forme à adopter. Tout ceci aboutit au développement des cellules, qui finissent par former un embryon, un organe…

Cependant, la majorité des découvertes dans ce domaine concerne des voies de signalisation, des leviers génétiques. Rien, ou presque, ne permettait de faire le lien entre les informations biochimiques, moléculaires et le changement de forme mécanique des cellules et des tissus. C'est donc sur cet aspect que Thomas Lecuit et son équipe ont concentré leur attention.

Thomas Lecuit - Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant 2015

La formation tridimensionnelle d'un organe

Les travaux du chercheur ont annoncé une révolution en démontrant dans Nature en 2004 qu'une protéine moteur désassemble dans un plan polarisé les jonctions entre cellules épithéliales. Elle permet ainsi l'intercalation de nouvelles cellules, nécessaires à la croissance du tissu et à la formation tridimensionnelle de l'organe.

Entouré d'une équipe pluridisciplinaire, Thomas Lecuit étudie la régulation de la force à l'échelle des tissus et la morphogénèse en 3D. Il tend ainsi à répondre à une question qui anime la communauté scientifique depuis des décennies : comment les formes caractéristiques des embryons et des organes naissent-elles de changements de forme des cellules elles-mêmes et de la régulation des contacts d'une cellule à l'autre ?

Le soutien de la fondation

Grâce au soutien et au financement apporté par la Fondation Bettencourt Schueller, Thomas Lecuit est en mesure de renforcer ses équipes pour pousser plus loin ses recherches. Les chercheurs ambitionnent de créer un modèle unifié, quantitatif de la morphogénèse, qui explique les différentes échelles d'organisation et de fonctions permettant aux tissus de s'invaginer et de s'allonger.

Le laboratoire utilise la mouche du vinaigre qui constitue un organisme modèle, tant les types cellulaires et les mécanismes moléculaires sont conservés entre invertébrés et vertébrés. Ces recherches éclaireront donc d'autres processus morphogénétiques, en particulier dans des organes épithéliaux tels que l'intestin adulte ainsi que dans la formation des tumeurs cancéreuses.

Thomas Lecuit en quelques mots

Enfant, Thomas Lecuit s'émerveille devant les papillons. Devenu adulte, à l'École normale supérieure, il retrouve les joies de l'observation naturaliste lors d'un stage sur l'embryogenèse de la mouche drosophile à l’Université Rockefeller, à New York. Durant son doctorat, il démontre que des facteurs de croissance forment des gradients de concentration qui organisent les tissus adultes de la drosophile selon ces gradients. La découverte est enseignée aujourd'hui à tous les étudiants en biologie.

Post-doctorant auprès d'Eric Wieschaus, qui a obtenu le prix Nobel en 1995 pour ses travaux sur le contrôle génétique du développement précoce de l'embryon, Thomas Lecuit combine l'exploration des mécanismes fondamentaux de la morphogénèse à l'étude des forces physiques et des événements chimiques associés. Ses découvertes aident à comprendre comment une cellule se déplace, trouve sa polarité au sein d'un épithélium, établit des contacts physiques puis les modifie pour contribuer à des mouvements morphogénétiques concertés.

Portrait de Thomas Lecuit, lauréat du Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant, lors de la remise des Prix Scientifiques, à Neuilly sur Seine, le 5 février 2016. © Caroline Doutre/CAPA Pictures pour la Fondation Bettencourt Schueller
  • 1998 Doctorat en biologie du développement, Université Pierre et Marie Curie, Paris

  • 1998 Post-doctorat, Department of Molecular Biology, laboratoire d'Eric Wieschaus, Princeton University (États-Unis)

  • 2001 Chargé de recherche au CNRS et chef de l'équipe ​« Architecture et dynamique des tissus épithéliaux »​, Institut de biologie du développement, Marseille

  • 2006 Directeur de recherche de 2e classe au CNRS, Marseille

  • 2010 Directeur de recherche de 1re classe au CNRS, Marseille

  • 2014 Membre de l’Académie des Sciences

  • 2015 Médaille d'argent du CNRS

Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant

Le Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant récompense chaque année un chercheur de moins de 45 ans pour l’excellence de ses travaux et sa contribution remarquable à son domaine de recherche scientifique. Ce prix est attribué selon les années à un chercheur établi en France ou travaillant dans un autre pays d'Europe. Vingt-sept lauréats ont été récompensés depuis 1997. A partir de 2023, la dotation de ce prix récompense personnellement le lauréat à hauteur de 100 000 euros.

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