"Colibri s’adresse aux enfants en rupture de placement, c’est l’accueil de la dernière chance" 5 questions à… Jérôme Aucordier, fondateur et directeur général de l'association

Vous avez créé Colibri en 2017. Dans quel esprit, avec quels objectifs ?

L’association de protection et d’accompagnement de l’enfance le Colibri s’adresse aux jeunes confiés à l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), et plus particulièrement à ceux « en rupture de placement », qui n’ont pas réussi à s’insérer dans les structures où l’on a tenté de les placer. L’association a été créée en 2017 comme une émanation des Scouts et Guide de France avec une volonté, offrir à ces jeunes un cadre accueillant et sur le temps long pour les aider à se reconstruire, à retrouver confiance en soi et sécurité intérieure. Pour cela, la vie dans nos maisons repose sur les piliers qui font la « philosophie scoute », partagée par quelque 60 millions de membres à travers le monde. La vie dans la nature, la possibilité de toujours compter sur un adulte, les notions d'engagement, de progression personnelle, d'implication dans la communauté ou l'apprentissage par l'action. L’objectif global est celui de l’autonomie et de la réinsertion, professionnelle et sociale.

Comment ces enfants sont-ils accueillis ?

Nous avons ouvert en 2024 deux maisons, dans le centre de Saumur et dans le village de Saint-Hilaire en Anjou, et deux autres encore dans le Nord de la France. Nous disposons aujourd’hui de 17 lieux, ce qui nous permet d’accueillir 150 enfants à l’année. Réparties entre six départements qui nous offrent tous un précieux soutien, ces grandes maisons familiales (250 à 400 m²) fonctionnent toutes sur le même modèle. Elles réunissent sept enfants en moyenne qui appartiennent à l’une de nos trois tranches d’âge 5-11 ans, 12-15 ans et 15-21 ans. Tous disposent d’une chambre individuelle et d’espaces communs (salon, cuisine, salle de sport) et sont encadrés 24h/24 par une équipe très structurée : le responsable du lieu, un psychologue, une maîtresse de maison et cinq éducateurs. Les enfants cohabitent ainsi avec des adultes et leurs pairs comme dans une vraie maison de famille, ils participent aux tâches ménagères, aux activités et à la vie du foyer. 

Dès son arrivée, chaque jeune élabore avec un éducateur un PPE (projet pour l’enfant) qui réunit différents thèmes : l’école, l’ouverture sur le monde, les émotions... Tous les 3-4 mois, une cérémonie est organisée pour célébrer ses réussites. J'aime à dire qu'à Colibri, on est dans la haute couture de l'accompagnement de l'enfance. Des structures à taille humaine et un accueil personnalisé, avec beaucoup d'éducateurs disponibles par rapport au nombre de jeunes. La plupart de ces maisons sont à la campagne et celles situées dans des villes disposent toutes d’un jardin pour respecter ce critère de proximité de la nature, au cœur de notre pédagogie. Nous procédons avec eux étape par étape. Le premier objectif est de les rescolariser et, peu à peu, de les aider à retrouver un équilibre.

Quels retours d’expérience avez-vous ?

Le premier critère de réussite est le taux de scolarité et, ensuite, le développement d’une forme de confiance que nos psychologues mesurent régulièrement à l’aide de questionnaires mais aussi de leur observation. Il s’agit de la confiance en soi, en l’autre, en l’adulte et face à ses pairs. On peut l’observer à la façon dont un jeune s’investit dans un projet, comment il avance. Le « capital social », également essentiel, se mesure à sa relation à l’extérieur. Est-il invité à des anniversaires, va-t-il spontanément chez des copains, en invite-t-il ? Les enfants que nous accueillons restent entre un et six ans, certains jusqu’à leur majorité et nous sommes même en train de développer aussi un accompagnement pour l’après ; l’appartenance à la communauté Colibri avec laquelle on reste en lien, grâce notamment à des événements réguliers que nous proposons. Ce temps long est l’une des clés de notre réussite. Les enfants qui arrivent là savent qu’ils vont retrouver une stabilité, qu’ils ne seront plus ballottés de lieu en lieu.

Après huit années d’existence, quels sont vos projets pour la suite ?

Notre prochain plan de développement s’articule autour de deux objectifs. Nous souhaitons continuer à ouvrir de nouveaux lieux pour atteindre une quarantaine en 2030. Deux vont être inaugurés à l’automne près de Bar-le-Duc, dans le département de la Meuse. Dans le même temps, nous travaillons à la création d'un centre de formation à la méthode Colibri, à l’attention de nos professionnels et en direction de l’extérieur, afin de faire connaitre notre méthode et permettre à chacun de s’en emparer. Nous lançons une mesure d'impact sur une durée de 18 mois pour apporter des éléments de compréhension de l'accompagnement des « enfants en situations multiples » selon la formule consacrée ; des éléments de contexte très précieux pour adapter la méthode Colibri.

L’association a été accompagnée par la Fondation Bettencourt Schueller dès 2017 et ce soutien vient d’être prolongé pour trois années. Que vous apporte ce compagnonnage ?

La Fondation nous a soutenu en 2017 pour la phase d’expérimentation, puis en 2021 lorsque nous avons décidé de nous développer. Elle va désormais participer à la création de nos nouvelles maisons. En dehors de ce soutien financier, évidemment essentiel pour le projet, la Fondation joue un rôle de partenaire très précieux. Ses équipes nous ont soutenus lors de notre première mesure d’impact, elles nous ont mis en contact avec le cabinet de conseil KIMSO avec lequel nous l’avons menée. Elles nous ont également accompagnés dans l’élaboration de notre programme pour les années 2025-2030, nous rapprochant cette fois d’un cabinet en stratégie. Cet accompagnement est une valeur ajoutée inestimable qui participe à donner de nouvelles impulsions à notre projet mais surtout à le penser, et à le structurer.

Voir la vidéo