Le renouveau des Arts déco Avec le Salon Les Nouveaux Ensembliers au Mobilier national
C’était il y a tout juste cent ans. L’exposition internationale des Arts décoratifs célébrait à Paris les ensembliers – ces décorateurs visionnaires qui, pour la première fois, pensaient les intérieurs dans leur intégralité. Le Mobilier national vient tout juste de leur rendre hommage avec le Salon Les Nouveaux Ensembliers qui a présenté les œuvres de créateurs chargés de concevoir l’ambassade de demain, portées par des artisans d’art qui infusent innovation et conscience écologique. Parmi eux, douze lauréats du Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main® de la Fondation.
25 octobre 1925… Le salon des Arts décoratifs et industriels modernes ferme ses portes après sept mois d’exposition, la participation de 18 pays et quelque 6 millions de visiteurs venus des quatre coins du monde. Le succès, absolu, consacre alors l’esprit visionnaire des ensembliers, ces artisans décorateurs au goût total, capables de penser un intérieur comme un tout en mêlant architecture, mobilier, volumes et couleurs. Ce tournant dans l’histoire de l’architecture intérieure sera notamment emmené par de jeunes talents, dont on connaît aujourd’hui le destin – Pierre-Edouard Jeanneret, Robert Mallet-Stevens, Jean-Michel Frank…
Pour rendre hommage à cet élan créatif, les Manufactures nationales – Sèvres & Mobilier National ont imaginé en octobre dernier un événement inédit, le Salon Les Nouveaux Ensembliers avec un objectif bien précis. « Alors que les sociétés redéfinissent leur manière d’habiter, il devenait urgent de redonner à cette figure sa juste place, assure Hervé Lemoine, président des Manufactures. Ce salon entendait justement renouer avec cet héritage en l’ouvrant aux enjeux contemporains : l’éco-conception, la durabilité, la transmission des savoir-faire et la valorisation de la création française ».
10 décorateurs pour concevoir l'ambassade du XXIe siècle
Plus concrètement, l’exposition a débuté par la présentation des travaux de dix agences qui ont eu pour feuille de route de penser l’ambassade de demain. Le résultat, un sans-faute, a réuni des scénographies mixant, avec esprit, esthétique contemporaine et hommage aux années 30.
Célébrant un imaginaire anglo-caraïbéen, le duo de designers Dach & Zéphir a redessiné un vestibule dans des tonalités ocre, orangé, terracotta et autres couleurs de la région. Ici, la flore omniprésente (graines, fleurs de bananier, bois exotique) invite à savourer l’attente comme un moment suspendu, dans une évocation des îles et de leur douceur de vivre. Convoquant cette fois l’histoire autant que la géographie, l’agence Oud Architecture, fondée par Marie-Sarah Bucket et Josselin Berthelot, a imaginé le bureau idéal d’un ambassadeur, posé sur les rives du Nil. Un espace éminemment poétique, relayé par des objets porteurs de mythes et de superstitions. Une table ronde ébauchait une carte du ciel, un canapé évoquait la silhouette d’un crocodile, un bureau convoquait la figure sacrée du scarabée. Fruit d’une collaboration entre le studio Oud et l’atelier de Jean-Brieuc Chevalier, lauréat 2025 du Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main®, ce bureau exprimait le meilleur d’un savoir-faire unique, la broderie sur bois, ici rehaussée de perles pour former un motif de l’Egypte antique. Ebéniste d’exception, Jean-Brieuc Chevalier a également participé à la création de la table basse dont la marqueterie s’orne de délicates incrustations.
Luminaires en forme de pain et tissus bleu, blanc, rouge…
Inspiré par le réemploi et la transformation, Paul Bonlarron a imaginé la pièce suivante, une salle à manger pleine de fantaisie où l’évocation de restes culinaires se faisait décor avec ces luminaires en forme de pain, ces assiettes en émail de coquille d’œuf ou ces nappes teintes à partir de pelures d’oignon réalisées par l’artisane Mélanie Viard. Tout aussi spectaculaire, l’ultime espace prenait la forme d’une chambre présidentielle, conçue par l’artiste designer Pierre Marie qui a choisi de placer le lit au centre de sa scénographie, avec sa tête, ses chevets et ses lampes. Celui-ci était recouvert d’un tissu signé du designer et inspiré des couleurs emblématiques de la République, le tout rehaussé de plissages réalisés par les ateliers Lognon. L’ensemble baignait dans une tonalité développée avec la manufacture Malouinières, rappelant la nuance cramoisie qui signe les lieux de pouvoir.
Non loin, l’escalier menait au Pop-up Sèvres, espace dans lequel les dix décorateurs ont eu pour mission de réinterpréter l’un des emblèmes de l’Art déco – le vase numéro 3 conçu à Sèvres et signé Jacques-Emile Ruhlmann pour l’exposition de 1925. Les réalisations, toujours singulières, déclinaient la sobriété de l’esprit japonais kintsugi en bleu de Sèvres pour l’agence Craft au baroque d’un vase ceint de chaînes brodées pour Marion Mailaender Studio, ou encore des lignes très architecturées pour l’œuvre de Mathilde Bretillot.
Un Bal des matières pour célébrer le potentiel d'innovation des métiers d'art
Au fil de ces scénographies, les visiteurs ont également pu admirer les prouesses de quelque 150 ateliers d’artisans d’art et prolonger ensuite leur exploration avec la découverte du « Bal des matières ». Cet espace, conçu par le Mobilier national avec le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, présentait de nouveaux matériaux élaborés par une vingtaine d’artisans d’art dans le cadre du Laboratoire des matières durables installé au cœur du Mobilier national.
« Pensé dans une logique de recherche appliquée, ce projet de laboratoire s’articule autour de deux axes, l’exploration de nouveaux matériaux et l’expérimentation de la matière textile et de la porcelaine, le tout avec un objectif. Accompagner la transition écologique des Manufactures et soutenir les démarches engagées des créateurs » précise Hervé Lemoine.
Verre marin, laque thermosensible et déchets de cuir upcyclés… Ce Bal des matières réunissait de multiples pistes d’exploration. On y retrouvait des matériaux qui témoignent de cette démarche écologique – bois locaux, fibres naturelles… mais aussi le fruit de R&D menées notamment par dix lauréats du Prix Liliane Bettencourt pour l’Intelligence de la Main® de la Fondation.
Une mention toute particulière pour le duo Aurélia Leblanc et Lucile Viaud (lauréates Dialogues 2023) qui exposait leurs étoffes de verre conçues à partir d’un verre marin fait de coquilles d’ormeaux et de micro-algues et ensuite étiré pour produire un fil utilisé par un métier à tisser. Une prouesse technique qui ouvre de nouveaux champs dans la fabrication et l’application du verre, le tout dans un contexte de raréfaction des matières premières.
Mixant également recherche et écologie, le duo Nicolas Pinon et Dimitry Hlinka (lauréats Dialogues 2020) présentaient leurs travaux autour de la fibre de chanvre et d’une laque végétale japonaise thermosensible, qui change de couleur selon sa température. Une façon de prévenir tout risque d’accident, et de faciliter une consommation d’énergie raisonnée.
Dans une démarche toute aussi innovante, les designers Elodie Michaud et Rebecca Fezard (lauréates Dialogues 2025) dévoilaient ici le résultat d’une recherche menée durant cinq années... Un matériau inédit, baptisé Leatherstone© et fabriqué à partir de chutes de cuir mélangées à un liant naturel et biodégradable, sans pétrochimie. Ce matériau totalement neuf possède les propriétés techniques et mécaniques adaptées à la réalisation de mobilier sur mesure, utilisé selon des techniques de modelage lorsque la pâte est encore ductile alors que son exploitation s’apparente à la taille de pierre lorsqu’il est sec. Un projet très ambitieux qui vient porter un message fort. « Les déchets sont les ressources du XXIe siècle et celles-ci ont toutes leur place dans un nouveau cycle où l’innovation dialogue avec les métiers d’art, la création avec l’écologie », assurent Elodie Michaud et Rebecca Fezard.
Autant de travaux qui sont venus compléter les 10 scénographies en célébrant la capacité des métiers d’art à accompagner les créations les plus prestigieuses, dans une dynamique contemporaine d’innovation et de responsabilité écologique.