La Villa Médicis se réenchante avec les métiers d’art français



Ebénistes, staffeurs, émailleurs… Une quarantaine d’artisans d’art ont collaboré avec des architectes d’intérieur pour la restauration de six nouvelles chambres d’hôtes de la Villa Médicis - Académie de France à Rome - dans le cadre d’une grande campagne de rénovation des lieux. Une initiative largement soutenue par la Fondation Bettencourt Schueller, grand mécène de la Villa, et une occasion exceptionnelle de faire rayonner les métiers d’art français.
Dans Rome accablée par 36°, la Villa Médicis et ses jardins ombragés sonnaient comme une promesse. C’est dans ce refuge que 500 invités ont participé le 13 juin dernier à la grande soirée donnée par la Villa Médicis à l’occasion de l’inauguration de six chambres d’hôtes, tout juste restaurées. Parmi les participants : architectes, designers, directeurs d’institutions françaises et italiennes mais aussi une quarantaine d’artisans d’art, directement impliqués dans le projet. Leur présence avait la force d’un symbole, celui de l’ouverture de la Villa aux métiers d’art initiée par la Fondation Bettencourt Schueller lors de son rapprochement avec l’Académie de France en 2022.
L’une des campagnes de réaménagement les plus ambitieuses de l’histoire des lieux.
Depuis cette date, la Villa accueille chaque année des artisans d’art aux côtés d’artistes, d’auteurs et de chercheurs en résidence. Ceux-ci sont également au cœur du programme « Réenchanter la Villa » lancé en 2022 par son directeur Sam Stourdzé, ancien directeur des Rencontres d’Arles, dans le droit fil de ses prédécesseurs qui ont tour à tour marqué les lieux. Au XIXe siècle, Ingres a fait planter les majestueux pins parasols des jardins et commandé les bas-reliefs de la galerie du Bosco. Dans les années 60, Balthus a décoré les murs de la désormais célèbre patine qui porte son nom. Dans les années 2000 enfin, Richard Peduzzi a repensé le mobilier et dessiné des luminaires.
A son tour, Sam Stourdzé écrit une page neuve avec cette grande campagne de rénovation, sans doute la plus ambitieuse qu’ait connu la Villa.
« En arrivant ici, j’ai constaté que le mobilier était assez lacunaire et qu’une nouvelle dynamique n’avait été insufflée depuis longtemps. J’ai imaginé ce programme de ré-enchantement pour apporter une touche de modernité, en mettant en valeur les grands savoir-faire français et en faisant intervenir des artistes contemporains. »
Sam StourdzéDirecteur de la Villa Médicis
La participation de 38 artisans d’art, et la commande de 52 œuvres uniques.
La première étape de ce projet, initiée dès 2022, a concerné le réaménagement des salons de réception, sous la direction artistique de Kim Jones et de Silvia Fendi qui ont fait résonner le patrimoine XVIIIe avec des pièces contemporaines, notamment une table en travertin et châtaignier signée du designer Noé Duchaufour-Lawrance. La seconde a permis la restauration de 6 pièces historiques emmenées par l’architecte d’intérieur India Mahdavi qui a allié meubles historiques du Mobilier National et pièces provenant de ses créations, à l’image de ce spectaculaire tapis imprimé de losanges, faisant écho aux parterres géométriques des jardins conçus par Peduzzi.
Le 13 juin dernier, l’inauguration a, cette fois, concerné les six chambres d’hôtes de l’aile Sud, réaménagées à partir d’un cahier des charges précis.
« Ce projet a fait l’objet d’un concours qui mettait en compétition des associations d’architectes d’intérieurs et d’artisans d’art. Notre expertise nous a permis d’être très partie prenante de cette phase de restauration qui a mené à la collaboration de 38 artisans d’art pour 52 commandes d’œuvres »
Hedwige GronierDirectrice du mécénat culturel à la Fondation Bettencourt Schueller
Un dialogue continu avec l’histoire et l’architecture de la Villa.
Les chambres s’inscrivent toutes dans une même dynamique – insuffler un esprit contemporain en entrelaçant les inspirations romaine et renaissance de la Villa. Chaque espace (40 m2) a conservé ses éléments structurels historiques – hauts plafonds à caissons de bois, sols de chevrons en brique et fenêtres à double battants, ce qui n’empêche pas un résultat chaque fois singulier. Certains duos sont partis du patrimoine des lieux, à l’image de la designer Constance Guisset qui signe avec l’artisan d’art Pierre Gouazé, la Chambre 22 « Stratus Surprisus ». « J’ai tout de suite eu envie de participer à ce concours. Un ami m’a parlé de Pierre Gouazé et son exceptionnel savoir-faire en matière de patines murales. Cela fut le déclic. J’aime partir de l’existant et j’ai pensé que l’on pouvait rendre hommage aux patines de Balthus en ajoutant une strate contemporaine. Cette restauration a été largement imaginée à partir de ces patines qui structurent l’espace, en le verticalisant. »
A la manœuvre dès la conception du projet, Pierre Gouazé a exploité ici un savoir-faire unique, fleuron de son entreprise Signature Murale. « Nous avons créé un enduit décoratif particulier qui utilise la Pierre Composite Polie ; une matière composée de poudre de pierres (marbre, gypse, mica etc.) mêlée à des pigments de couleurs naturelles. L’origine de cette technique se retrouve dans l’Egypte ancienne, reprise ensuite par les maîtres du stuc italiens et français. Les patines de Baltus sont très colorées mais assez figées. Les nôtres réagissent à la lumière grâce au scintillement de la pierre, ce qui donne un mouvement particulier. Nous avons produit 30 échantillons pour parvenir au résultat attendu en termes de matière et tout autant pour les couleurs que Constance a étirées vers des tonalités contemporaines, emmenant vers davantage de douceur et de lumière. Pour cela, nous avons procédé à des essais de pigments au milligramme près. »
Des matériaux recyclés qui reprennent l’idée même de Renaissance.
Autre témoin de l’incroyable potentiel des savoirs faire français, la Chambre 17 « Studiolo », a été restaurée par le duo de designers Sébastien Kieffer & Léa Padovani. « Nous avons voulu tirer parti de l’épure du XVIIe siècle en travaillant avec les ébénistes d’art de l’atelier Veneer, qui privilégient les matériaux durables, notamment du bois recyclé, ce qui reprend l’idée même de Renaissance, Ils ont imaginé avec nous un mobilier dont la marqueterie géométrique, inspirée des motifs historiques de la Villa, crée des rythmes visuels qui invitent à la contemplation. Une façon de rappeler aussi la mission de la Villa. Un lieu qui se doit d’être accueillant et serein ; pensé pour l’introspection, la réflexion et la création ».
Une technique innovante de micro-fibres de papier pour évoquer les marbres romains.
S’inspirer des lieux tout en laissant voguer son imagination, ce fut le propos des designers Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard qui ont conçu la chambre 18 « Camera Fantasia », autour d’un paysage intérieur inspiré de la Villa Médicis et de ses jardins. Pour cela, ils ont travaillé avec l’artisan italien Riccardo Cavaciocchi qui a créé un luminaire, des étagères, une table et des parements de murs évoquant le marbre romain à l’aide d’une technique innovante de micro-fibres de papier qui réinvente celle du papier mâché. Pour les murs de la pièce, ils ont imaginé un subtil décor de peintures murales avec le scénographe et artisan d’art Matthieu Lemarié. « Avec mon équipe, nous avons créé des trompe-l’œil qui reprennent l’architecture de la Villa, la géométrie de ses voûtes prolongées par les bleus et les gris du ciel de Rome. Cette technique a participé à porter le message de Gaëlle et Stéphane ; leur désir de brouiller les pistes entre apparence et réalité ».
Une démarche unique que Sam Stourdzé entend bien prolonger. « J’ai le projet de continuer avec quinze nouvelles chambres et pavillons. La dynamique est là. Au fil des restaurations, nous avons acquis une expertise, un savoir-faire que je ne veux pas perdre ». De quoi attendre avec impatience le prochain chapitre.
Retrouvez l’ensemble des designers et des artisans
Chambre 17 -Studiolo
Sébastien Kieffet et Léa Padovani, designers.
Atelier Veneer, Romain Boulais et Félix Lévêque, concepteurs-fabricants et artisans ébénistes.
Chambre 18 - Camera Fantasia.
Studio GGSV-Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard, designers.
Matthieu Lemarié, peintre décorateur.
Chambre 20 – Il cielo in una stanza.
Studio Zanellato /bortotto -Giorgia Zanellato & Daniele Bortotto, designers.
Patrizia Mian & Gianluca Zanella, artisans émail grand feu.
Chambre 21. Pars Pro toto
Eliane Le Roux, directrice artistique et architecte.
Atelier Misto Miza Mucciarelli, maître d’art décoratif.
Chambre 22 _ Stratus Surprisus
Constance Guisset Studio ? Constance Guisset, designer.
Signature Murale Pierre Gouazé, créateur d’enduits décoratifs. Arcam Glass Simon Muller, maître verrier.
Chambre 23 – Isola
Sabourin Costes – Zoé Costes & Paola Sabourin, designers
Estampille 52 Paul Mazet et Fantin Mayer – Peraldi, ébénistes.