Créée voilà tout juste 10 ans par Athina Marmorat, Rêv’Elles propose des programmes pédagogiques innovants pour aider les jeunes filles de quartiers populaires à bâtir un projet professionnel selon leurs aspirations et leur potentiel, s’affranchissant des déterminismes sociaux et des assignations à résidence. Un projet ambitieux, soutenu désormais par la Fondation Bettencourt Schueller.

Rêv’Elles a tout juste dix ans. Qu’est-ce qui vous a déterminé à vous lancer dans l’aventure ?

Avant de créer l’association, j’ai longtemps été formatrice dans des lycées de Seine-Saint-Denis, chargée de l’orientation professionnelle. Durant mes réunions avec les élèves, je faisais toujours le même constat. Les jeunes filles étaient plus en retrait que les garçons, prenaient peu la parole et lorsque je leur demandais ce qu’elles souhaitaient faire plus tard, j’obtenais les mêmes réponses ; secrétaire ou puéricultrice ; jamais médecin ou avocat.

La plupart envisageait uniquement des métiers présents dans leur environnement social et familial. Pour le reste, elles se plaçaient dans une logique d’autocensure ; n’osant même pas évoquer des professions qu’elles jugeaient d’emblée inaccessibles. 

Les chiffres, hélas !, confirment ce constat. Selon une enquête récente de l’AFEV (Association de la Fondation Etudiante pour la Ville), 62 % des filles des quartiers populaires ont peur de ne pouvoir atteindre leurs objectifs concernant leur orientation, contre 49 % de garçons. Elles souffrent d’un manque d’information, de stimulation et s’orientent trop souvent dans des voies qui ne correspondent ni à leurs aspirations ni à leur potentiel.

La mission de l’association s’articule autour de cela, lutter contre ce déterminisme ?

J’ai créé Rêv’Elles pour le combattre, avec une conviction : l’égalité des chances passe d’abord par l’égalité des rêves. Notre objectif ? Aider les jeunes filles des quartiers populaires à élargir leurs horizons, développer leur confiance en soi, susciter le passage à l’action. Nous les encourageons à faire un choix libre et éclairé avec, en ligne de mire, un épanouissement professionnel et personnel.

Comment vous faites-vous connaitre auprès de cette communauté ?

Nous avons tissé un maillage territorial – un réseau d’ambassadeurs dans les collèges, les lycées et les associations, qui vont à la rencontre des élèves pour leur proposer nos programmes. Nous sommes implantés en Ile-de-France (en Seine-Saint-Denis notamment) et à Lyon. Nous recevons les jeunes filles de 14 à 20 ans dans nos locaux, mais nous organisons nos stages dans des lieux que nous louons en centre-ville.

  • © Anne Gentilleau
  • © Pauline Gouablin
  • © Pauline Gouablin
  • © Pauline Gouablin
  • © Pauline Gouablin
  • © Pauline Gouablin
  • © Pauline Gouablin
  • © Pauline Gouablin

Que proposez-vous, concrètement, à une jeune fille qui pousse la porte de l’association ?

Les filles nous rejoignent via le parcours « RVL Ton Potentiel ». Un programme intensif de cinq jours durant les vacances scolaires, mené par des professionnelles de la formation qui animent des ateliers collectifs autour de la connaissance de soi, du monde du travail et de la nécessité de déconstruire les préjugés. Ces coachs sont épaulées par nos « Rôles modèles ». Issues de tous horizons professionnels, ces femmes inspirantes viennent présenter leur métier, en qualité de bénévole individuel ou dans le cadre d’un mécénat de compétence noué avec l’une de nos entreprises partenaires. Tout au long de la semaine, les stagiaires bénéficient aussi d’entretiens individuels, de vrais espaces de parole où elles peuvent évoquer leurs doutes et leurs inhibitions. Le dernier jour, elles se soumettent à l’exercice du pitch. Elles passent la matinée à poser les bases d’un projet professionnel avant de le présenter devant un jury constitué de nos « Rôles modèles ». Ce programme constitue la pierre angulaire de nos actions. Les filles en sortent transformées, plus libres et plus confiantes, avec des désirs plein la tête.

Quel est la suite de ce programme ?

À l’issue de ces cinq jours, les jeunes filles participent à une célébration qui signent leur entrée dans la communauté Rêv’Elles. Elles bénéficient alors d’un suivi individuel (4 à 5 entretiens durant cinq mois) et rejoignent ensuite « RVL Pro ». Ce second programme, conçu en lien avec leurs envies et le projet professionnel qu’elles développent, s’articule autour de rencontres au sein de nos entreprises partenaires, d’ateliers liés à l’insertion et à la vie professionnelle. 

Parallèlement, elles peuvent intégrer notre dernier programme, « RVL Communauté », qui leur permet de s’impliquer à leur tour dans le projet associatif. Elles continuent de développer compétences et confiance en soi au fil d’échanges réguliers avec les « Rôles modèles » et d’ateliers sur la prise de parole et l’éloquence. Dans le même temps, elles jouent un rôle actif dans l’association : chargée de logistique ou ambassadrice lors de nos forums, co-réalisatrice des podcasts produits par Rêv’Elles.

Depuis la création de Rêv’Elles, vous avez déjà soutenu plus de 4 000 jeunes filles. Comment évaluez-vous vos actions ?

Depuis 2021, nous travaillons avec le cabinet Eexiste pour mesurer les bénéfices du programme « RVL Ton Potentiel ». Selon notre dernière enquête, 68 % des jeunes filles déclarent que leur rapport aux études s’est amélioré depuis leur participation à ce parcours. 92 % estiment avoir été inspirées par les femmes rencontrées. 90 % ont une meilleure vision de l’entreprise. Nous œuvrons désormais à la mise en place de mesures d’impact pour les autres programmes. Notre volonté est d’évaluer notre rôle sur le long terme, la façon dont notre projet influe sur la trajectoire de ces jeunes filles, jusqu’à leur entrée dans la vie professionnelle.

D’autres initiatives proposent un soutien aux jeunes femmes de banlieues. Quelle est la particularité de votre accompagnement ?

Peu d’associations s’intéressent spécifiquement aux jeunes filles des quartiers populaires qui cumulent les inégalités sociales, de genre et de territoire. Notre valeur ajoutée est de créer des espaces privilégiés de parole et notre approche pédagogique repose sur un accompagnement global : un travail d’introspection associé au soutien concret d’un projet professionnel. Au-delà de ces actions, notre raison d’être est de créer une communauté de femmes, réunies par un lien fort et intergénérationnel. Les jeunes filles se nourrissent de l’exemple de ces femmes « Rôles modèles » qui sont, elles-mêmes, renforcées dans leur confiance en soi par ce statut de figure tutélaire.

La Fondation Bettencourt Schueller vous accompagne depuis le début de l’année et pour trois ans. Quels projets allez-vous réaliser grâce à cette aide ?

Ce soutien sera très précieux dans le changement d’échelle que nous préparons. Après 10 ans d’existence, nous voulons passer à une phase d’essaimage du projet dans le Nord de la France (Lille) et le Sud aussi (Marseille). Nous allons accompagner cette montée en puissance avec une réflexion sur les questions de gouvernance, de ressources humaines et de formation pour nos collaborateurs. Enfin, nous comptons engager des actions de plaidoyer auprès des pouvoirs publics sur ces questions d’égalité des chances.

Vous venez de fêter vos 10 ans, comment pensez-vous Rêv’Elles en 2033 ?

Je souhaite que Rêv’Elles continue de fédérer des jeunes filles qui ont réussi leur parcours grâce à l’association et décident d’aider à leur tour les générations à venir. Faire de Rêv’Elles une communauté de femmes engagées, dans un esprit d’empowerment et de sororité.

Site internet de Rêv'Elles