À trois ans, un enfant vivant dans un milieu défavorisé maîtrise en moyenne 500 mots alors qu’un enfant de milieu aisé en possède près de 1 000*. Face à ce constat, l’association 1001 mots se mobilise en stimulant l’éveil au langage avant même l’entrée en maternelle. Avec Florent de Bodman, co-fondateur et directeur général, retour sur une expérience inédite de prévention précoce de l’échec scolaire, et de la discrimination sociale.  

De nombreuses études montrent que l’éveil précoce au langage est un élément clé pour une scolarité réussie. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces recherches ?

Dans ce domaine, l’étude la plus éclairante reste celle initiée dans les années 1970 par des chercheurs américains. Baptisée Carolina Abecederian, elle a été menée avec un groupe de 55 enfants issus de quartiers populaires. Tous ont bénéficié d’un programme d’éveil pilote autour du langage, de 4 mois jusqu’à 5 ans, et les chercheurs ont ensuite suivi leur parcours durant 35 années, mettant en lumière les bénéfices-clé de cet apprentissage précoce. A l’âge adulte, ces enfants ont été deux fois plus nombreux à obtenir un emploi qualifié, comparé à ceux du groupe témoin. 

D’autres études ont ensuite confirmé ces bienfaits. Après un éveil précoce au langage, les enfants obtiennent de meilleurs résultats dans l’apprentissage de la lecture, ils ont davantage de chances d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur et moins de risque de vivre des périodes de chômage. Il est désormais acquis que ce type d’éveil offre un potentiel énorme en termes de développement et d’épanouissement de l’enfant. Or, le phénomène reste très peu connu, en dehors d’un cercle restreint de chercheurs.

Ce constat est à l’origine de la création de 1001 mots ?

Ces études ont été déterminantes dans notre envie d’agir. L’association 1001 mots a été créée en 2017 par une équipe réunissant un orthophoniste, un psychologue, un chercheur en santé publique, deux personnes issues du secteur privé et moi-même, venu de Bercy. Ces expertises, très différentes, ont été rassemblées autour d’une même volonté... Explorer une solution puissante, et encore en jachère, pour lutter contre l’échec scolaire et offrir à tous une vraie égalité des chances. A l’école, et dans la vie. 

Comment avez-vous mis en place ce projet ?

Nous avons commencé par nouer des relations avec des pédiatres de centres de santé publique (les PMI), très présents dans les quartiers populaires. Ces médecins partageaient notre conviction - l’importance capitale du langage - et ont choisi de collaborer avec nous pour déployer le programme que nous avions élaboré ; repérant, parmi leurs jeunes patients, ceux qui présentaient un très faible niveau de langage.

  • Asma et sa fille, Nira, lisent un livre ensemble
    © Emma David
  • Nira lit un livre
    © Emma David
  • L'association 1001 mots propose aussi des idées de jeux d'éveil simples à concevoir avec les enfants
    © Emma David

Comment fonctionne concrètement ce programme ?

Il consiste tout d’abord à expliquer aux familles l’importance de cet éveil et leur proposer de participer à l’aventure. Après avoir obtenu leur adhésion, l’association envoie un premier livre pour le bébé et proposent aux parents de le regarder avec lui. Dans un second temps, la famille reçoit un appel d’un membre de notre équipe - expert de la petite enfance - chargé de répondre à ses questions et de lui donner des conseils pour développer l’intérêt du tout-petit (imiter les bruits des animaux, moduler sa voix selon les personnages…). 

Bien souvent, les parents n’ont pas conscience que les trois premières années de la vie constituent un moment capital pour le développement de leur enfant. Avec cette expérience, ils réalisent que l’apprentissage du langage commence avant même qu’il ne parle. Cet accompagnement personnalisé s’effectue à distance mais lorsque nous constatons une concentration de familles dans un même quartier ou un même village, nous proposons des ateliers physiques, organisés dans les PMI ou les bibliothèques. Les échanges entre parents sont très précieux et nous les encourageons aussi à distance, via Facebook ou des groupes WhatsApp.

Dans quelles régions l’association est-elle implantée aujourd’hui ?

Le projet est né dans le Nord Est parisien, il s’est ensuite développé à Aulnay-sous-Bois. Nous sommes présents aujourd’hui dans la moitié du département de la Seine-Saint-Denis, mais aussi dans des territoires ruraux, notamment les départements du Loiret et de la Moselle…

Quels retours avez-vous des familles, des pédiatres de votre réseau ?

L’expérience connait un véritable engouement ! Les parents comprennent que cet éveil participe à l’épanouissement de leur enfant, et qu’il lui donne davantage de chance pour une scolarité réussie. De plus, l’expérience renforce la qualité des liens tissés, elle valorise la relation parents-enfants. Dans le même temps, nous rencontrons un même enthousiasme de la part des pédiatres du réseau, qui soulignent les progrès accomplis par les tout-petits qu’ils suivent. 

En 2020, nous avons également fait appel au laboratoire J-Pal d’Esther Duflo pour procéder à une évaluation de nos pratiques. Celui-ci a mené une étude montrant que le programme 1001 mots augmentait de 20 % la fréquence de lecture des parents avec leur enfant âgé de deux ans. Tout ceci nous a donné envie d’entamer un changement d’échelle. Grâce notamment au soutien de la Fondation Bettencourt Schueller, nous sommes passés de 4 000 enfants suivis en 2022 à 10 000 en 2023. 

Quels sont vos prochains objectifs ?

Le défi est d’abord logistique. Les familles reçoivent un livre tous les deux mois, ce qui nous impose d’organiser plusieurs milliers d’envois par an, avec une personnalisation de plus en plus forte. Il est ensuite humain, avec le développement nécessaire de nos équipes pour répondre au plus grand nombre de familles accompagnées. Par ailleurs, nous avons l’intention de continuer à investir dans l’impact de notre programme, en produisant davantage de contenus pédagogiques pour les parents : des vidéos, des SMS avec des conseils qui leur permettent d’enrichir leur expérience entre les appels avec nos experts. Enfin, nous comptons aller plus loin dans le changement d’échelle pour atteindre 100 000 enfants accompagnés en 2026, avec l’ambition d’investir en priorité les départements les moins favorisés, avant un développement national. 

*Étude Hart&Risley, 2013

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