L’Institut Jacques Monod – Unité Mixte du CNRS et de l’Université Paris Cité – est aujourd’hui l’une des structures françaises les plus dynamiques dans le domaine de la biologie fondamentale. Avec sa directrice Valérie Doye, le point sur les thématiques de recherche et les spécificités de ce pôle d’excellence qui réunit aujourd’hui trois lauréats du programme Impulscience® de la Fondation, ce qui participe encore à son rayonnement.

Rappelez-nous tout d’abord la genèse de cet Institut. Quand a-t-il été créé, et avec quelle mission ?

L’Institut, fondé en 1966 sous le nom d’Institut de Biologie Moléculaire, a été renommé Institut Jacques Monod en 1982 en hommage au biologiste français Jacques Monod, prix Nobel de physiologie ou médecine en 1965. Cette filiation, très symbolique, trace aussi un chemin. Jacques Monod et François Jacob (co-lauréats du prix avec André Lwoff) ont en effet participé au premier comité de direction de l’Institut et ils en ont, très concrètement, impulsé les grandes orientations… Un lieu consacré à la biologie moléculaire, chargé de répondre à des questions encore d'actualité comme la réplication de l’ADN, sa transcription, ou encore les mécanismes de différenciation cellulaire. Cette définition, très large, reste la nôtre, tout comme leur ambition originelle. Réunir dans un même lieu des chercheurs animés par une curiosité, une vraie envie de découverte, pour produire une recherche fondamentale fondée sur de nouvelles idées, et de nouvelles questions.

Quel est aujourd’hui son positionnement dans le paysage de la recherche française, et internationale ? Quelles sont les grandes thématiques développées ?

A mon arrivée à la direction de l’Institut en septembre 2023, et en concertation avec les responsables d’équipe, nous avons identifié deux grands axes de recherche. Le premier, appelé « architecture et dynamique des systèmes vivants », interroge la constitution des systèmes vivants, de la molécule à l'organisme… Comment les interactions entre des molécules permettent de former différents types de cellules ; comment ces dernières forment ensuite des tissus et des organismes variés qui vont se développer ; le tout impliquant des aspects de biomécanique et de signalisation. Le second se nomme « identité, adaptation, évolution » et réunit des questions de transmission du matériel génétique, d’évolution des génomes et des espèces avec, en toile de fond, les questions de dynamique du génome ou de régulation génétique. 

Ces deux axes de recherche participent à nous différencier d'autres instituts parisiens qui se déploient souvent autour de pathologies spécifiques – liée aux cancers, aux infections ou aux maladies génétiques. Nous nous situons à une étape différente. Nous posons, en amont, les grandes questions de biologie nécessaires à la compréhension du vivant. Notre but n'est pas de guérir une maladie donnée même si, in fine, nous y contribuons activement.

Dans le laboratoire de Nicolas Minc, lauréat Impulscience 2024. © Alexandre Darmon/Art in Research pour la Fondation Bettencourt Schueller.
Dans le laboratoire de Nicolas Minc, lauréat Impulscience 2024. © Alexandre Darmon/Art in Research pour la Fondation Bettencourt Schueller

Présentez-nous les récents succès de cet Institut ; Prix, publications…

Outre la nomination de trois chercheurs au programme Impulscience® de la Fondation sur laquelle je reviendrai, je mentionnerai tout d’abord certaines publications récentes, par exemple sur le rôle des forces mécaniques dans le contrôle des tissus, l’une dans Nature Physics et l'autre dans Nature Materials, ou encore sur l’origine évolutive du système membranaire qui définit les cellules eucaryotes dans Nature Microbiology

Je voudrais aussi évoquer l’élection de quatre responsables d'équipe à l'EMBO (European Molecular Biology Organization), ce qui constitue une importante reconnaissance internationale. Nos jeunes chercheurs sont aussi distingués, notamment avec l’obtention d’un Prix de la Fondation CNRS ou d’un Prix international pour un « Outstanding doctor research » en biophysique. 

Je suis très sensible au fait que ces reconnaissances interviennent à différentes étapes de la carrière d’un chercheur, ce qui montre que l'excellence est à tous les niveaux. Elle est également visible lorsque nos chercheurs sont invités à donner des conférences dans des grands colloques internationaux. Tout cela contribue concrètement au rayonnement de l’Institut.

Quelles sont les spécificités de l’Institut qui contribuent à ce niveau d’excellence ?

Première originalité, l’Institut ne fonctionne pas par département. Les chercheurs travaillent dans le cadre de nos deux thématiques et nous avons décidé de ne rien cloisonner pour permettre une totale interaction entre nos 27 équipes et les sujets de recherche. Dans cet esprit, nous pensons nos recrutements dans une vraie volonté de cohérence. Nous sélectionnons une nouvelle équipe pour ses qualités scientifiques, l’originalité de sa thématique et pour sa capacité à s'intégrer aux équipes existantes pour créer d’emblée des synergies. 

Nous venons de recruter deux équipes. L’une étudie l’impact des forces mécaniques en jeu lors de l’infection bactérienne et pourra ainsi interagir avec les équipes de biologie cellulaire et de biophysique. L’autre, en paléogénétique (qui étudie les génomes humains anciens) créera des synergies avec celles qui étudient les génomes d’organismes modèles (drosophiles, vers marins…) mais aussi celles qui s’intéressent au développement du cerveau. 

Les équipes tissent des liens, mettent leur expertise et leurs équipements en commun grâce à nos plateformes technologiques (imagerie, protéomique) qui sont aussi une force. Ces plateformes sont ouvertes, en dehors de l’institut, aux chercheurs du monde académique comme aux sociétés de biotechnologies, avec une facturation adaptée à leur prestation. 

Par ailleurs, nos appels d'offres sont internationaux. La communication au sein de l’Institut est bilingue français-anglais pour que les chercheurs étrangers se sentent accueillis, sans barrière de la langue ; ce qui favorise incontestablement l'attractivité de l’institut. Enfin et surtout, nous misons sur l’excellence, avec la volonté de privilégier des projets novateurs. Pour cela, nous avons constitué un Scientific Advisory Board, un conseil scientifique consultatif international qui nous aide à affiner les choix de recrutement de notre comité qui présélectionne les dossiers. 

Tous ces aspects sont la raison d’être de l’Institut et je dois dire, de façon plus personnelle, que ce sont ceux qui m’ont séduites lorsque j’ai choisi de le rejoindre en 2008, avant d’en prendre la direction adjointe en 2019 et la direction depuis 2023.

Trois lauréats du programme Impulscience® de la Fondation Bettencourt Schueller sont issus de l’Institut Jacques Monod. Que pensez-vous de cette reconnaissance, et de ce programme ?

C’est une grande fierté. Ces trois lauréats Impulscience témoignent de la réussite de l'Institut. Ils sont la preuve que l’on est capable d'attirer des talents et qu’ils sont reconnus. Ces chercheurs ont fait partie des finalistes de l’ERC et ont été sélectionnés par le conseil scientifique de la Fondation. Grâce à ce programme, ils sont accompagnés durant cinq ans avec une dotation de 2,3 M€. Ils ont ainsi l’opportunité de s’impliquer totalement dans leur sujet en bénéficiant des meilleures conditions de recherche, ce qui leur permet d’avancer très vite. Avec le programme Impulscience, la Fondation porte un vrai message : il faut avoir des projets ambitieux et donner aux chercheurs la possibilité de les mener. Ce programme est en cohérence avec cette vision et la reconnaissance de la Fondation est une parfaite mise en lumière des valeurs que nous partageons.

Témoignages de 3 lauréats Impulscience®

« C'est à l'Institut Jacques Monod qu'on m'a fait confiance, et qu'on m'a laissé libre ».

« Avec mon équipe, je travaille sur le développement des embryons et principalement sur la division cellulaire ; le tout avec des approches interdisciplinaires et des méthodes issues de la physique et des mathématiques. 

J’ai rejoint l’Institut en 2013 et j’ai choisi ce lieu parmi d’autres offres pour la grande liberté accordée aux chercheurs, au contraire de nombreux instituts. Nous travaillons avec un organisme modèle très exotique, les embryons d’oursins. Au cours d’échanges avec d'autres instituts, j’ai très souvent eu le sentiment que les gens doutaient de ma thématique, alors que j'étais convaincu de son potentiel. C'est à l'Institut Jacques Monod qu'on m'a fait confiance et qu'on m'a laissé libre. L’ouverture d'esprit est l’une des grandes qualités de ce lieu, tout comme l’interaction. Il y a ici près d’une trentaine de groupes et on y trouve toujours les ressources que l’on cherche. Je suis physicien de formation et, même si je possède de bonnes bases en biologie, j’avais vraiment besoin d’une expertise en biologie pure dans mon environnement. Cette richesse a incontestablement participé à l’avancée de mes recherches, couronnée par l’obtention du Prix Bettencourt Coup d’élan pour la recherche française en 2020 et Impulscience en 2024 ».

Impulscience | Palmarès 2024

« Ici, les réunions de groupe sont ouvertes à tous, ce qui est très rare dans un institut ».

« Nous travaillons sur la régulation de la dynamique d'assemblage du cytosquelette (squelette cellulaire) et la singularité de l’équipe réside dans le fait que nos approches sont purement in vitro, avec une méthode assez rare qui réunit la microscopie de fluorescence et la microfluidique. 

En 2014, j’ai choisi de rejoindre l’Institut pour la diversité de ses thématiques et le dynamisme de la biophysique, ce qui constitue à mes yeux ses deux grandes forces. Aujourd’hui, j’apprécie tout particulièrement le décloisonnement des équipes et des disciplines qui permet une vraie transversalité et de multiples échanges puisque les réunions de groupe sont ouvertes à tous, ce qui est très rare dans un institut. Notre équipe réunit une vingtaine de chercheurs de toutes nationalités (libanais, chinois, mexicains, polonais…) qui se sont tous sentis accueillis par la structure, ce qui est aussi très important. Cette ouverture a été un moteur pour notre recherche qui nous a notamment permis de décrocher le soutien Impulscience en 2022 et de publier pour un premier article dans Science Advances en 2024 ».

« Les chercheurs reçoivent un soutien étroit de la direction, notamment pour les demandes de financement ».

« J’ai été recruté par l’Institut en 2020 à l’issue d’un appel international pour de nouveaux responsables d’équipe. J’ai alors choisi cet institut car il compte plusieurs équipes qui travaillent dans le même domaine que le mien : l’étude des microtubules, ces petits tubes qui remplissent de nombreuses fonctions essentielles dans le fonctionnement des cellules. Je n’ai jamais remis en question ce choix qui repose sur quatre qualités essentielles de l’Institut. Les chercheurs reçoivent un soutien étroit de la direction, notamment pour les demandes de financement. Nous disposons d’excellentes plateformes technologiques, qui nous permettent de réaliser des expériences impossibles à mener ailleurs. Je bénéficie d’un environnement scientifique de haut niveau, avec des collègues toujours heureux et disponibles pour échanger. Enfin, nous disposons d’un service de communication efficace avec une personne chargée de présenter de manière professionnelle nos travaux, nos offres d’emploi et autre communication, ce qui représente une aide très précieuse ».