Le programme de Radio-France vise à éduquer aux médias et à la citoyenneté les élèves des collèges et lycées. 

 

Créé en 2015 après les attentats de Charlie Hebdo, le projet InterClass propose à des collégiens et lycéens de travailler avec un professeur et une équipe de journalistes à la réalisation d’une émission d’une heure, diffusée sur la grille d’été de France Inter. Imaginée via le programme d’éducation aux médias de Radio-France et soutenue par la Fondation Bettencourt Schueller, cette aventure participe à construire la réflexion et l’esprit critique face à la prolifération des fakenews. Notre reportage dans une classe de troisième avec Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie à Saint-Denis.

Chuck Yeager, premier aviateur à franchir le mur du son en 1947, vient de mourir à Los Angeles. Si l’information vous a échappé, elle a fasciné Abdoulaye, élève de troisième au collège Pierre de Geyter de Saint-Denis, qui la présente avec fierté à ses copains. Après lui, les élèves déclinent à leur tour l’actualité qu’ils ont choisi de retenir à la demande de Iannis Roder, leur professeur d’histoire-géographie. Aude annonce que le Royaume-Uni s’apprête à débuter la vaccination contre le covid-19, Brandon que le piton de la Fournaise s’est réveillé, Sarah que vient d’être lancé un Beauvau de la sécurité. Accompagné de Mathilde Dehimi, journaliste à France Inter et de Fanny Crouzet qui coordonne le programme d’éducation aux médias de Radio-France, lors de cette séance de travail dans le cadre du projet InterClass, Iannis Roder interrompt très vite ses élèves pour rappeler le cœur même de la consigne : « vous devez chaque fois préciser vos sources ». Chacun s’exécute : BFM, le site du Point et… YouTube.

L’information pour rendre compte de la réalité

La source de l’information est l’une des questions-clé qui ont présidé à la naissance du projet en janvier 2015, juste après les attentats. « De nombreux enseignants ont alors contacté notre rédaction afin d’être épaulés pour expliquer la liberté d’expression et contrer les influences conspirationnistes » explique Emmanuelle Daviet, créatrice du programme à Radio-France. 

« Après Charlie, certains jeunes ont affirmé dans nos classes qu’il s’agissait d’un coup monté, rapportant des choses vues sur internet qui remettaient en cause les événements. De là est née l’idée d’expliquer ce qu’est une information. Beaucoup ignorent comment elle est vérifiée, croisée, contextualisée avant d’être diffusée. Cette méconnaissance participe de l’intox. D’un côté, les élèves entretiennent une méfiance quasi systématique à l’égard des grands médias qui servent, selon eux, le pouvoir en place. De l’autre, ils prennent pour argent comptant ce qu’ils trouvent sur le web, qu’ils ressentent comme un espace de liberté. »

© Julien Daniel / MYOP.
© Julien Daniel / MYOP.

Un programme vivant et participatif

Education aux médias mais aussi à la citoyenneté, InterClass se propose justement d’aider les enfants à décrypter les informations, pour comprendre la société et exercer leur esprit critique. Mieux encore, ce programme se veut vivant et participatif ; loin des habituelles interventions de journalistes qui racontent, devant des classes passives, la façon dont se fabrique un journal. InterClass se fixe un objectif autrement ambitieux puisque ce sont les élèves eux-mêmes qui conçoivent et réalisent une émission d’une heure, diffusée sur la grille d’été de France Inter. L’aboutissement d’une année entière de travail, avec des ateliers réguliers, encadrés par les enseignants et des équipes de Radio-France.

Le droit de rêver…

En ce mardi 8 décembre, nous n’en sommes qu’à la deuxième séance et, pour le moment, l’idée est de hiérarchiser les informations retenues par les collégiens, comme le font les journalistes avant le journal de 19h. Quelles sont les plus importantes ? Comment les organiser ? Après un long débat, les enfants s’entendent sur la campagne de vaccination en Angleterre puis le Beauvau de la sécurité (à l’exception d’Abdoulaye qui défend farouchement son aviateur). Ce travail d’éditorialisation -qui met en perspective et cherche à retenir l’attention des auditeurs, servira de fil rouge pour la suite de l’atelier, très attendu.

Les élèves, réunis par groupes de trois, doivent plancher sur le sommaire idéal de leur émission. Les propositions sont d’abord timides mais Mathilde Dehimi sait vite lever les inhibitions : « vous avez aussi le droit de rêver ! ». Les visages s’éclairent, les curiosités s’aiguisent. Les uns veulent rencontrer un auteur de manga ; d’autres des chercheurs qui avancent sur le vaccin contre le covid, d’autres encore ne rêvent que d’un reportage dans le lieu d’entrainement des joueurs du PSG. Peu à peu, les propositions s’affinent et s’enrichissent. Le groupe qui souhaite travailler sur les violences policières imagine un parallèle entre les situations française et américaine. Comment faire ? « On peut partir à New York » tente Adel ? On recense le champ des possibles - compliqué de partir aux Etats-Unis mais pourquoi pas interroger des américains qui vivent à Paris ? Iannis Roder rappelle alors qu’en mars 2016, ses élèves ont tout de même rencontré Bernard Cazeneuve dans les locaux de France Inter avant que le ministre ne les invite à Beauvau, justement, pour une rencontre informelle.

Et de s’ouvrir au monde.

« Avec InterClass, les enfants ont l’occasion de pénétrer dans des lieux, de rencontrer des personnalités auxquels ils n’ont en général pas accès. Cette valorisation est importante pour tous mais certains en ont encore plus besoin que d’autres »

La fabrication de l’émission leur permettra peu à peu de sélectionner les bons interlocuteurs, de partir en reportage avec leur micro, encadrés par les journalistes de la station. Elle leur offrira surtout l’occasion de vivre une aventure intellectuelle unique, qui va créer des rapports différents avec les adultes et les aider à construire une réflexion, exercer leur libre esprit.

En attendant, la sonnerie vient de sonner la fin du cours mais, pour une fois, les élèves s’attardent. Ils posent des questions, demandent des précisions sur les reportages, les dates de visite à France Inter, avant de saluer leur professeur et les journalistes. Et Abdoulaye de rappeler, avec un petit sourire complice : « mon info sur le pilote, c’était quand même la mieux ! »

InterClass et la Fondation Bettencourt Schueller

Imaginé par Radio-France, InterClass fait collaborer journalistes et professeurs pour amener les collégiens et les lycéens en REP (Réseau d’Education Prioritaire) à expérimenter l’investigation rigoureuse, la vérification des sources et l’exigence de probité dans le journalisme. Une dizaine de projets ont vu le jour cette année dans différents établissements, avec l’objectif d’accroitre ce nombre ainsi que l’ancrage territorial, via des antennes France Bleu. Par ailleurs, Radio-France a également imaginé, -à destination des enseignants, la plateforme InterClass Up qui réunit un dispositif d’éducation aux médias et à l’information en classe.

En soutenant la structuration d’InterClass pendant trois ans, la Fondation Bettencourt Schueller poursuit son engagement pour l’éducation et une jeunesse qui ait les clés de la vie en société.