La Philharmonie de Paris poursuit depuis 2018 un ambitieux projet de développement du chant choral dans les écoles et collèges de Paris et d’Ile-de-France. L’initiative s’élargit sur le territoire et se veut un véritable laboratoire pédagogique, testant les méthodes les plus innovantes pour favoriser l’apprentissage musical et le bien-être des enfants. Une initiative largement accompagnée par la Fondation… 

Avec EVE, nous venons remplir l’une de nos grandes missions, contribuer à la démocratisation de la musique et des pratiques musicales

« Il a la taille d’un colosse / Il a la tête d’un taureau / Ses yeux lancent des éclairs / Du feu sort de ses naseaux / Du Minotaure, du minotaure, on ne revient pas ! ». En ce lundi matin de mars, une centaine d’enfants est réunie dans le grand (et somptueux) studio de la Philharmonie de Paris. Serrés les uns contre les autres, tous scandent ces vers avec effroi en avançant lentement dans la pénombre, pour rejoindre l’entrée funeste du labyrinthe… 
Nous n’en sommes qu’à la troisième répétition de l’opéra Le Monstre du Labyrinthe du compositeur anglais Jonathan Dove et, déjà, les voix des enfants se répondent et s’accordent. Leur corps tout entier est engagé, exprimant à l’unisson le sentiment de frayeur dont l’intensité progresse au fil de la partition... 

Issus de trois collèges d’Ile-de-France, ces élèves participent au grand projet EVE (Exister avec la Voix Ensemble) lancé en 2018 par la Philharmonie de Paris, avec le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller. Une initiative qui s’inscrit dans l’ADN de l’institution, comme le rappelle Olivier Mantei, son directeur. « Avec EVE, nous venons remplir l’une de nos grandes missions, contribuer à la démocratisation de la musique et des pratiques musicales ». Déployé, pour sa première phase, dans deux écoles primaire REP de La Courneuve et de Paris, le projet s’étend depuis cette année à 11 collèges d’Ile-de-France mais l’ambition reste la même. Offrir aux enfants une approche innovante de la musique, qui participe à leur bien-être et à leur développement global.

Une équipe pluridisciplinaire et des pédagogies novatrices

Concrètement, les élèves bénéficient d’un apprentissage renforcé du chant à raison de trois à quatre heures par semaine dans les classes, doublé de répétitions régulières qui réunissent l’ensemble des enfants à la Philharmonie. Innovant dans sa conception, le projet se veut aussi un laboratoire d’expérience et de bonnes pratiques, misant sur les pédagogies les plus novatrices. « Certains enseignements artistiques ont pu rebuter les élèves mais il est bien fini le temps où l’on imposait une à deux années de solfège avant de leur permettre de toucher un instrument. Au moment où l’enfant entame son approche de la musique, l’objectif est de lui donner envie de chanter », assure Marie-Hélène Serra, directrice du département Éducation et Ressources à la Philharmonie de Paris. 

EVE promeut une excellence de l’enseignement musical mais le projet s’appuie sur une équipe pluridisciplinaire pour développer d’abord les apprentissages psychocorporels, privilégiant les relations entre élèves et enseignants. Les ateliers sont encadrés par un chef de chœur, accompagné d’un animateur rompu aux règles de la méthode Delcroze qui s’appuie sur l’intelligence corporelle pour intégrer le geste musical. « On n’intellectualise pas la mise en place d’une polyrythmie, par exemple (l’alliance d’un triolet et d’une croche). On fait sans expliquer, en laissant le corps écouter, puis reproduire le son. Et ça marche ! », poursuit Marie-Hélène Serra.

Cette technique est associée à la méthode Alexander qui travaille cette fois sur la posture du corps, la prise de conscience de sa position et de son mouvement, ce qui participe à la concentration. L’enfant est pleinement dans le chant, avec le chef de chœur, avec les autres chanteurs aussi. 
Dernière innovation, et non des moindres, la présence de musicothérapeutes qui travaillent en dehors de tout champ thérapeutique mais aident les enfants à sortir d’éventuelles situations de blocage (certains mettent des semaines avant d’oser chanter), à intégrer les émotions ressenties au fil des chants pour les transformer un geste artistique. 

  • © William Beaucardet
  • Chœur de jeunes élèves lors d'une séance de répétition dans le cadre du projet EVE 2 (Exister avec la Voix Ensemble) mené par la Philharmonie de Paris, le 13 février 2023, et associant le chant choral à des approches corporelles et psychosociales
    © William Beaucardet
  • © William Beaucardet
  • Enfants de classes de CE2 se produisant sur scène dans le cadre de la restitution de fin du projet EVE 1 (Exister avec la Voix Ensemble)
    © Oscar Ortega

Des vrais bénéfices sur les capacités psychosociales et l’apprentissage du langage

On le devine, les élèves progressent rapidement sur le plan du chant mais différentes enquêtes menées durant la première phase du projet ont permis d’attester d’autres bienfaits. L’étude menée par le LECD (Laboratoire Ethologie Cognition Développement) a notamment identifié, pour la tranche d’âge CE2-CM2, des évolutions positives sur les interactions sociales et certains aspects de l’apprentissage du langage. 

Ces premiers résultats ont incité les équipes à passer à la deuxième phase du programme en septembre dernier, avec des classes de collège. « La pédagogie est la même mais nous accompagnons cette fois les élèves dans l’adolescence. Avec le chant, nous les aidons à traverser cette période et toutes les transformations qu’elle induit, de leur corps et de leur voix qui devient plus instable, entamant sa mue. Nous avons commencé nos ateliers depuis six mois à peine mais nous constatons déjà les bénéfices. Le rapport à leur corps semble plus harmonieux, plus apaisé » poursuit Marie-Hélène Serra. 
 

Poulenc et worksongs américains…

Pour le moment, les élèves ne se soucient guère de cela, concentrés à poser leur voix et s’approprier leur répertoire. Au programme cette année ? « Le Monstre du Labyrinthe, l’opéra de Jonathan Dove, qui permet de travailler l’expression des émotions, notamment au fil de cet acte travaillé ce matin même, durant lequel les enfants d’Athènes, emmenés par Minos, atteignent le labyrinthe, explique Astryd Cottet, chef de chœur et professeur de chant. Poulenc sera également au répertoire, tout comme les fameux worksongs. Ces chants de travail entonnés par leurs cueilleurs dans les champs de coton aux Etats-Unis ou par les pêcheurs siciliens au moment de relever leurs filets et dont les sons rythment les gestes, créant entre le corps et la voix une connexion naturelle ».

Tandis que les équipes de la Philharmonie planchent déjà sur la troisième phase du projet (un essaimage dans toute la France à partir de septembre 2024), les élèves eux n’ont qu’une chose en tête. La date du 23 juin prochain où ils seront rejoints, dans la prestigieuse salle Berlioz de la Philharmonie, par des chœurs associés venus de Strasbourg, Rouen et Lyon. En tout, ils seront plus de 300 chanteurs à interpréter, notamment, ce fameux opéra. De quoi (presque) effrayer le Minotaure !

Le soutien de la Fondation dans le domaine du chant choral

Soutenir le développement de l'art vocal par : 

- l’accompagnement de la structuration des chœurs professionnels,
- le soutien de la formation dans des maîtrises ou chœurs d’enfants,
- la sensibilisation du public et en particulier des enfants,
- l’encouragement de projets interdisciplinaires à dimension sociale, artistique ou territoriale…

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