« Durant ce festival, nous allons réunir nos publics et mêler nos deux chœurs » Entretien avec Claire Grosjman, directrice du CRÉA d'Aulnay-sous-Bois et Catherine Simonpietri de l'ensemble vocal Sequenza 9.3



Claire Grojsman est à la tête du CRÉA où elle œuvre pour une pratique égalitaire du chant choral. Catherine Simonpietri dirige l’ensemble Sequenza 9.3 qui défend la polyphonie vocale des XXe et XXIe siècles. Toutes deux participent au festival en Île-de-France et se rejoignent lors d’un même événement qui signe leur volonté commune. Transmettre la passion du chant choral au plus grand nombre, en célébrant la diversité des cultures.
Vous êtes à la tête du CRÉA depuis 2021. Pouvez-vous nous présenter ce centre assez inédit ?
Claire Grojsman. Le CRÉA a été fondé en 1987 par mon père Didier Grojsman. Conseiller pédagogique en éducation musicale, il a toujours placé le chant et les arts de la scène au cœur de l'éducation artistique, et au cœur de toute éducation. C’est pour relever ce défi qu’il a fondé le CRÉA –Centre de Création Vocale et Scénique – installé au théâtre Jacques Prévert d’Aulnay-sous-Bois. Depuis cette date, plus de 150 interprètes amateurs, de 4 à 60 ans, se retrouvent une à deux fois par semaine pour répéter avec des chefs de chœur et des musiciens. Par ailleurs, le CRÉA développe des projets de formation et d’éducation artistique dans une dizaine d’académies et met à disposition une collection de ressources issue de ses créations. Chaque année, des centaines d’enfants bénéficient ainsi de notre répertoire, ce qui permet de partager notre expérience sur l’ensemble des territoires.
Quels sont vos derniers événements ?
CG. Nous venons de participer au premier Festival des Arts à l'École, organisé en avril dernier au Futuroscope de Poitiers. Nous avons aussi engagé un partenariat avec l'Orchestre National d’Île-de-France permettant à deux classes de participer à la création du Voyage de Nyamba, présentée à la Philharmonie de Paris en juin. Par ailleurs, nous organisons, chaque année en juin, le festival Il était une voix qui réunit pour des concerts quelque 300 enfants et adultes de la ville d’Aulnay-sous-Bois, membres du chœur du CRÉA ou des structures dans lesquelles nous intervenons.
Vous êtes à la tête de Sequenza 9.3 depuis 1998. Pouvez-vous nous présenter votre ensemble ?
Catherine Simonpietri. Cet ensemble vocal professionnel se veut au service de la création contemporaine et tente d’embrasser toutes les disciplines artistiques – la musique bien sûr, mais aussi le cinéma, la danse, le cirque… Nous prêtons également une attention particulière à la musique du siècle précédent car de multiples créations n’ont pas été suffisamment exploitées et nous cherchons à les faire connaitre à un plus large public. Notre ensemble, à géométrie variable, réunit de 6 à 24 chanteurs et nous sommes, nous aussi, basés en Seine-Saint-Denis, à Pantin.
Quels sont vos derniers événements ?
CS. Nous avons donné, le 18 mai dernier, un grand concert à l’église de Saint-Sulpice avec, au programme, Visage Céleste, une œuvre composée par le nouveau titulaire organiste Karol Mossakowski. Il y a quelques jours, nous étions au Festival de Saint-Denis pour présenter le répertoire Les petites voix, une invitation sensorielle à la polyphonie, destinée aux enfants de 0 à 3 ans.
Vous participez toutes les deux à Chants libres 2025 avec un programme spécifique et un événement commun. Pouvez-vous d’abord nous présenter votre programmation solo ?
CG. Notre volonté est de créer une dynamique qui réunisse le plus grand nombre. Nous serons donc présents dans des crèches, des écoles, des parcs et des résidences pour seniors à Aulnay-sous-Bois... En tout, plus de 400 artistes amateurs vont offrir des moments de chant participatif, invitant le public à chanter avec eux lors de concerts organisés dans toute la ville. L’objectif est de créer des échanges vivants avec l’ensemble des spectateurs, de toutes les générations. Pour cela, nous avons élaboré 15 temps musicaux centrés sur la chanson française, avec des œuvres des compositrices Isabelle Aboulker et Coralie Fayolle.
CS. Notre propos est de célébrer la diversité culturelle, en proposant une large variété d’esthétiques, puisée dans notre répertoire. Nous proposerons un concert avec la chanteuse et joueuse de kora Senny Camara, mêlant voix lyriques et esthétiques de l’Afrique centrale. Nous présenterons Mémoires vivantes, un programme issu d’un travail de collecte de chants auprès des habitants de Seine-Saint-Denis qui a inspiré au compositeur Alexandros Markeas une Cantate, interprétée par des chœurs du département, les voix de Sequenza et un ensemble instrumental. Nous proposerons un concert autour des chants de Méditerranée avec 6 voix de femmes et un santûr (cithare traditionnelle iranienne), interprétés dans différentes langues, du corse à l'arabe en passant le grec, le turc ou l'hébreu.
Le moment commun s’articule autour d’un grand concert qui mêlera l’ensemble de vos voix. Quels sont les bénéfices de cette initiative ?
CS. Nos voix vont se réunir à la fin du grand concert donné le dimanche, avec un répertoire issu de nos deux formations. Cette démarche est très intéressante car nos ensembles sont complémentaires. Le chœur du CRÉA réunit des enfants, le nôtre des adultes. Le CRÉA est une école de formation d'excellence et nous sommes des professionnels. Cela donne le plaisir de la transmission pour les chanteurs de Sequenza et, je l’espère, une proximité avec le monde du chant professionnel pour les enfants et amateurs du CRÉA. Par ailleurs, la force de cette initiative est aussi de mêler nos publics et de favoriser les rencontres.
CG. L’expérience permet à nos jeunes chanteurs de sortir de leur zone de confort, d’explorer de nouvelles dynamiques de groupe. Nous avons déjà expérimenté ce type de projet lors de la dernière édition. Nous avons alors eu le privilège de chanter avec l’ensemble Les Cris de Paris et avons encore en tête la richesse des rencontres humaines et artistiques qui se sont créées. Avec Sequenza 9.3, nous partageons un même territoire dont nous allons explorer, chacun à sa façon, les atouts et la richesse.
Le CRÉA a déjà participé à une édition de Chants libres. Quel regard portez-vous sur ce festival ?
CG. C'est une expérience magnifique, dont nous pouvons observer très concrètement la portée. Une occasion unique de rassembler des voix, des artistes et des publics autour de la musique, le tout dans un territoire particulier qui abrite des cultures très différentes. Je crois que l'esprit Chants libres est là, dans cette dimension participative d’accueil et d’échange. La musique est au cœur de notre programmation mais nous vivons, avec le public, une proximité que nous ne retrouvons dans aucun autre festival. Les habitants de la ville ont conscience de cette richesse et le festival constitue désormais un vrai rendez-vous. La municipalité d’Aulnay-sous-Bois participe d’ailleurs à sa valorisation avec une importante campagne de communication.
Pour Sequenza 9.3, il s’agit d’une première participation à Chants libres. Comment la vivez-vous ?
CS. Je suis évidemment très séduite, et très honorée, de participer à cet événement. Je pense que l'aspect participatif est très important, notamment pour notre département où une partie de la population est éloignée de la musique, et plus généralement de la culture. Au-delà de la transmission, ce festival montre que le chant est aussi une affaire de collaboration. Il célèbre une musique pour tous, et pensée par tous.
Chants libres s’inscrit dans un engagement de longue date de la Fondation. Quel rôle joue-t-il, selon vous, dans le rayonnement de cet art en France ?
CG. La Fondation Bettencourt Schueller agit très concrètement pour la promotion du chant choral dans notre pays et le CRÉA en est un exemple très éclairant. Comme je le rappelais, la Fondation soutient le développement de nos formations à l'éducation artistique à travers la France. Elle accompagne également notre travail de collection de ressources issues de nos créations. Cette année, nous intervenons dans 11 académies en France et diffusons ce répertoire, chanté par des milliers d'enfants sur tout le territoire.
CS. La Fondation œuvre incontestablement à la mise en valeur de notre discipline. Elle favorise l’accès au chant pour tous les publics via ce festival mais elle encourage aussi l’excellence de chœurs professionnels via le Prix Liliane Bettencourt pour le chant choral, devenu une référence dans notre univers. Sequenza 9.3 a été lauréat de ce prix en 2011 et cette reconnaissance nous a donné un nouvel élan. Nous avons reçu davantage de propositions de festivals, de concerts, de collaborations avec d’autres ensembles. Ce prix crée une effervescence extraordinaire, très importante pour la musique aujourd'hui.