Prix Bettencourt Coups d’élan pour la recherche française

Le Prix Coups d’élan pour la recherche française a été créé par la Fondation en 2000. En 20 ans, 70 laboratoires français et plus de 500 chercheurs ont bénéficié de ce prix.
Il est attribué chaque année à quatre équipes de recherche biomédicale publique, relevant de l’Inserm et de l’Institut des sciences biologiques du CNRS.
La dotation du prix est de 250 000 euros.
Le cerveau est l’un des organes les plus complexes et les plus fascinants. Les synapses en sont les unités fonctionnelles élémentaires. Ce sont des structures submicrométriques qui permettent aux neurones de communiquer entre eux pour transmettre et traiter l’information. Chez l’Homme, les synapses présentent des spécificités par rapport aux autres primates ou autres mammifères étudiés jusqu’à présent. Elles se développent sur des périodes beaucoup plus longues. Elles forment aussi des circuits plus nombreux et plus divers, et elles peuvent intégrer plus d’informations. Ces différences renforcent considérablement l’importance de l’environnement dans la maturation du cerveau et augmentent sa puissance computationnelle. Elles sont à la base des capacités cognitives et sociales qui caractérisent Homo Sapiens.
Cécile Charrier et son équipe étudient comment de nouveaux gènes, qui sont apparus au cours de l’évolution humaine, modifient le développement et la plasticité des synapses. L’équipe détermine le rôle de ces gènes en recherchant leur réseau social dans les cellules du cerveau et en identifiant les processus cellulaires qu’ils régulent. Ils ont précédemment montré que le gène spécifiquement humain SRGAP2C induisait l’émergence de caractéristiques typiquement humaines des synapses (retard de maturation, augmentation de leurs nombres) et régulait des protéines clés de l’assemblage des circuits neuronaux. Ces travaux permettent à la fois d’éclairer des mécanismes fondamentaux qui existent chez tous les mammifères et d’identifier des régulations propres à l’homme, une étape importante pour mieux comprendre la vulnérabilité du cerveau humain aux maladies et en particulier aux troubles neurodéveloppementaux.
Le travail de l’équipe gravite autour d’un programme original, au carrefour de la biologie cellulaire, de l’évolution et des neurosciences. Son approche multidisciplinaire s’appuie sur la microscopie de haute résolution, l’électrophysiologie, la protéomique et utilise des modèles murins ainsi que des neurones humains dérivés de cellules pluripotentes induites. Une combinaison qui vise à mieux comprendre en quoi le cerveau humain est unique en se plaçant à un niveau d’étude cellulaire et moléculaire, qui a été peu exploré jusqu’ici.
Le Prix Bettencourt Coups d’élan pour la recherche française permettra à Cécile Charrier de rénover des locaux pour créer un laboratoire de confinement L2, indispensable pour sa recherche, et d’équiper ce nouvel espace de travail, notamment avec un stéréoscope à fluorescence.
La biologie des synapses nous éclaire sur l’évolution du cerveau d’Homo Sapiens
Cécile Charrier
Equipe :
- Cécile Charrier, chef d’équipe
- Andréa Dumoulin, maître de conférence
- Marie Depp, ingénieure d’étude
- Roberta Rapone, post-doctorante
- Magdalena Pereyra, post-doctorante
- Nora Assendorp, doctorante
- Joseph Zamith, doctorant
Biologiste de formation, Cécile Charrier est une experte en neurosciences. Après ses études de biologie de l’École Normale Supérieure de Paris, elle rejoint pour son doctorat l’équipe du docteur Antoine Triller pour travailler sur la biologie des synapses. À l’aide d’une nouvelle méthode d’imagerie de molécules uniques, elle étudie la dynamique du récepteur de la glycine au niveau des synapses avec une précision nanométrique. Elle démontre que la diffusion des récepteurs à la surface des neurones détermine l’efficacité de la transmission synaptique et qu’elle est régulée par le cytosquelette et la matrice extracellulaire.
Elle rejoint ensuite pour trois ans et demi le laboratoire du Professeur Franck Polleux aux États-Unis pour étudier le développement du cortex cérébral. Elle montre qu’un gène spécifiquement humain, SRGAP2C, est à l’origine de caractéristiques typiquement humaines du développement et de la morphologie neuronale.
Grâce à un financement de l’Agence nationale de la recherche, Cécile Charrier revient en France en 2013 pour créer son propre groupe de recherche. Recrutée comme chargée de recherche à l’Inserm, elle développe un projet visant à comprendre les mécanismes de la plasticité synaptique et de l’homéostasie neuronale en étudiant plus particulièrement les voies moléculaires liées à l’évolution humaine. Cécile Charrier partage activement sa recherche innovante sur le plan international et est aussi reconnue pour ses qualités pédagogiques et son sens de la transmission.
La répartition des pigments, des poils, des plumes ou des écailles forme sur la peau des vertébrés des motifs géométriques variés. Ces champs de pois, de rayures ou de polygones sont essentiels à la survie des animaux, procurant capacité de vol ou camouflage. Malgré leur importance, les mécanismes établissant ces motifs pigmentaires chez l’embryon restent un mystère. Au sein de l’équipe « Formation et évolution des motifs cutanés » au Collège de France, Marie Manceau et ses collègues développent une stratégie novatrice pour répondre à cette question fondamentale : l’étude de la variation entre différentes espèces d’oiseaux.
Le projet de recherche, soutenu par le Prix Bettencourt Coups d’élan pour la recherche française, permettra d’approfondir l’étude des motifs du plumage. En effet, Marie Manceau et son équipe projettent de décrire la géométrie formée par les bourgeons de plume apparaissant dans la peau, en utilisant des espèces aussi diverses que la caille, le poulet, le passereau diamant mandarin, l’émeu, l’autruche ou le manchot papou. Des modèles mathématiques seront ensuite créés pour reproduire de façon théorique les dynamiques de mise en place de ces différentes géométries chez l’embryon.
En parallèle, la variation entre espèces des dynamiques cellulaires et biomécaniques en place dans la peau sera décrite grâce à des techniques d’imagerie. Trouver des thèmes communs dans la variation, les modéliser et les corréler aux différentes dynamiques cellulaires, permettra d’identifier des signaux pouvant jouer un rôle dans la formation des motifs de bourgeons de plume. Ces signaux seront ensuite testés directement chez l’oiseau dont l’accès aisé à l’œuf fertilisé offre de vastes possibilités d’études fonctionnelles.
L’équipe a déjà démontré l’efficacité de cette méthode particulière. Son utilisation dans le groupe aviaire des volailles a permis l’identification de l’origine embryonnaire des rayures périodiques de couleur qui ornent le plumage des poussins. Au delà de ces animaux, cette étude a éclairé l’évolution des motifs pigmentaires, gardant des fondations communes nées de contraintes développementales.
Le Prix Bettencourt Coups d’élan pour la recherche française financera l’acquisition d’un système d’imagerie dite confocale permettant de visualiser en temps réel les dynamiques cellulaires dans la peau des embryons aviaires. Ce soutien consolidera Marie Manceau et son équipe dans leur statut de pionniers dans les études de formation des motifs par la biodiversité.
Les motifs cutanés qui parent les animaux sont aussi divers qu'ordonnés ; un paradoxe qui fascine aussi bien les mathématiciens que les biologistes !
Marie Manceau
Equipe :
- Camille Curantz, post-doctorante
- Nicolas Haupaix, post-doctorant
- Carole Desmarquet, ingénieure d’études
- Eddy Cialec, animalier
www.college-de-france.fr/site/en-cirb/manceau.htm
www.manceaulab.com
Marie Manceau est biologiste, avec une double expertise en biologie du développement et de l’évolution.
Pendant son doctorat à l’Institut de Biologie du Développement de Marseille dans le laboratoire du Pr Marcelle, elle s’intéresse au développement précoce du muscle chez l’oiseau. Elle découvre que les cellules souches musculaires, embryonnaires et adultes, ont la même origine. Lors de son séjour post-doctoral à l’Université d’Harvard dans le laboratoire du Pr Hoekstra, elle a démontré que les motifs pigmentaires des rongeurs évoluent rapidement grâce à des modifications embryonnaires précédant l’apparition des pigments.
En 2013, soutenue par le programme ATIP-Avenir, Marie Manceau monte son équipe de recherche indépendante au Centre interdisciplinaire de recherche en biologie du Collège de France, sous tutelle conjointe du CNRS et de l’Inserm. En 2015, elle entre au CNRS comme chargée de recherche. Elle est promue directrice de recherche en 2020.
La fécondation de l’œuf est au début de toute vie animale. Cette cellule unique se divise ensuite pour former un embryon composé de milliers de cellules, d’où émergeront les organes et les tissus. Ces premières divisions sont tout sauf aléatoires : elles suivent une chorégraphie tridimensionnelle spécifique que l’on appelle patron de clivage.
Nicolas Minc et son équipe cherchent à comprendre les mécanismes fondamentaux de l’organisation spatiale de ces divisions cellulaires. Ils étudient l’embryogénèse c’est-à-dire la manière dont les cellules de l’embryon se divisent, un processus commun à tous les animaux qu’il s’agisse des invertébrés ou de l’être humain, permettant ainsi de définir leurs formes, leur polarité et leur destin cellulaire.
Dans son laboratoire, Nicolas Minc emploie des méthodes innovantes d’imagerie, de mécano-biologie et de modélisation, en utilisant l’embryon d’oursin comme modèle. L’équipe étudie les divisions cellulaires suivant la fertilisation des œufs d’oursins, qui produisent des gamètes en très grande quantité et dont l’analyse permet donc d’obtenir des résultats robustes et quantitatifs. L’enjeu est de comprendre comment les œufs s’organisent en étudiant la manière dont les microtubules permettent d’aligner l’axe des forces suivant l’axe géométrique de la cellule. Pour y parvenir, Nicolas Minc injecte des billes magnétiques, qui sont comme des nano-aimants, au sein de la cellule, et mesure ainsi les forces exercées par les microtubules pour déplacer, positionner et orienter le noyau cellulaire ou la machinerie de division à l’intérieur de l’œuf ou des cellules.
L’originalité de son approche, pour prédire le comportement cellulaire, repose sur l’utilisation combinée des concepts de la physique, des outils de la biologie fondamentale et des mathématiques appliquées, dans une approche interdisciplinaire. Les travaux de l’équipe contribuent notamment à alimenter la recherche sur le cancer, une pathologie qui résulte d’une dérégulation de la division ou de la forme cellulaire.
Le Prix Bettencourt Coups d’élan pour la recherche française lui permettra d’acquérir un microscope confocal bi-photon qui enrichira la plateforme d’imagerie de l’Institut Jacques Monod. Avec ce nouvel appareil, l’équipe de Nicolas Minc s'attaquera à l'un des problèmes les plus fondamentaux mais non résolus de la biologie : les mécanismes du clivage embryonnaire précoce et la spécification du destin cellulaire.
Dans les sciences du vivant, tout est régulé dans le temps et dans l’espace, selon un modèle très sophistiqué
Nicolas Minc
Equipe :
- Nicolas Minc, Directeur de Recherche CNRS
- Jeremy Sallé, Chargé de Recherche CNRS
- Serge Dmitrieff, Chargé de Recherche CNRS, CRCN
- Flora Klingelshmitt, Ingénieure d’étude
- Ramakanth Neeli-Venkata, Post-doctorant
- Jordan Hervy, Post-doctorant
- Javad Najafi, Post-doctorant
- Jing Xie, Doctorante
- Louis Chevalier, Doctorant
- Magid Badaoui, Doctorant
- Valeria Rocchi, Etudiante en master
Nicolas Minc est physicien et biologiste, spécialiste de la morphogénèse. Sa double formation lui donne un point de vue original sur les problèmes biologiques fondamentaux liés à la fois à la polarité et à la division cellulaire. Il réalise sa thèse de sciences en micro-fluidique puis, en post doctorat, développe son expertise dans deux domaines spécifiques : les phénomènes électrochimiques liés à la polarité́ des cellules de levure et la mécanique de la paroi de ces cellules.
Dès son entrée au CNRS en 2010, il approfondit la manière dont la forme des cellules peut avoir un impact sur l’organisation du cytosquelette et sur la division cellulaire. Ses travaux sur l’oursin lui ont permis de développer un modèle physique en enrichissant la loi de Hertwig, qui établit certains principes géométriques de la division cellulaire, avec un facteur prédictif.
Depuis son installation à l’Institut Jacques Monod en 2013, il explore d’autres aspects de polarité comme la germination des spores. Sa recherche couvre des aspects très variés de la compréhension du vivant : il met au point des mesures de forces précises pour comprendre comment les organelles trouvent leur place dans la cellule, tout en exploitant l’imagerie quantitative, la génétique et la modélisation physique. Il a également recours à des simulations numériques pour comprendre le développement précoce des embryons.
Comprendre l'évolution de la reproduction sexuée et la diversité des mécanismes qui déterminent le sexe des individus représentent des enjeux fondamentaux de la biologie. La recherche sur les algues brunes peut éclairer ces questions de manière innovante.
Les algues brunes présentent en effet une variété exceptionnelle de modes de reproduction et de cycles de vie. Cette diversité est exploitée par Susana Coelho et son équipe. En observant les caractéristiques sexuelles des algues, les chercheurs étudient l’origine et l’évolution de la reproduction, en se concentrant autour de deux processus de développement clés : la régulation du cycle de vie et la détermination du sexe. Leurs travaux ont déjà permis de mettre en lumière l’évolution des chromosomes sexuels dans une lignée d’algues brunes qui a évolué indépendamment des plantes, des animaux et des champignons depuis plus d’un milliard d’années.
Grâce à son expertise de la biodiversité des algues, Susana Coelho cherche à appréhender les questions fondamentales du développement et ses implications génomiques, écologiques et évolutives, en conciliant génétique, outils d’évolution moléculaire et bio-informatique. Cet intérêt pour l’adaptation des écosystèmes marins trouve un écho très actuel aux enjeux environnementaux, sanitaires et sociétaux auxquels la planète doit faire face. À terme, la maîtrise du cycle de reproduction des algues pourra être un vecteur puissant pour les biotechnologies dans les domaines de la nutrition, de la médecine et de la cosmétique.
Le Prix Bettencourt Coups d’élan pour la recherche française permettra à Susana Coelho d’acquérir l’équipement scientifique nécessaire à ses expériences : une plateforme de phénotypage spécialement conçue pour les algues. La plateforme sera mutualisée avec d’autres équipes de recherche de la Station Biologique de Roscoff.
Le modèle des algues nous enseigne que la complexité et la diversité du vivant est une source de progrès pour l’humanité
Susana Coelho
Equipe:
- Mark Cock, directeur de recherche
- Aga Lipinska, chargée de recherche
- Guillaume Cossard, post-doctorant
- Yacine Badis, post-doctorant
- Morgane Raphalen, ingénieur de recherche
- Olivier Godfroy, ingénieur d’études
- Delphine Scornet, assistante ingénieur
- Laurent Peres, assistant ingénieur
www.sb-roscoff.fr/fr/laboratoire-de-biologie-integrative-des-modeles-marins
Susana Coelho est une spécialiste des systèmes de reproduction et de leur évolution. Docteur en biologie, elle se consacre très tôt aux algues lors de sa thèse portant sur la réponse des algues aux stress hydriques.
Lors de son post-doctorat à la Station Biologique de Roscoff, elle poursuit ses travaux dans le cadre de sa bourse Marie Slodowska-Curie puis EMBO : des années qui lui ont permis de travailler sur les mécanismes moléculaires qui contrôlent les cycles de vie des algues. Elle étudie l’analyse fonctionnelle et évolutive du déterminisme sexuel à partir de Ectocarpus, une petite algue brune filamenteuse à petit génome qu’elle aide à développer comme modèle pour les algues brunes. Avec son équipe, et en utilisant des approches pionnières, elle découvre comment les algues déterminent leur sexe en isolant la région du génome spécifique aux mâles et aux femelles.
Susana Coelho poursuit sa carrière au CNRS, comme chercheuse depuis 2006 et comme directrice de recherche depuis 2015, toujours à la Station Biologique de Roscoff.
Les travaux de Susana Coelho et de son équipe apportent des perspectives inédites pour comprendre l’évolution des systèmes sexuels. Leur méthode d’analyse comparative des chromosomes sexuels des algues brunes éclaire les caractéristiques du cycle de vie et les évolutions des chromosomes sexuels ; une étape supplémentaire dans la connaissance de la biologie à travers l’arbre de la vie.