Rencontre avec Fanny Reyre Ménard, vice-présidente de la chambre syndicale de la facture instrumentale.

PIC-PIV*… Derrière cet étrange acronyme se cache l’une des initiatives les plus concrètes et ambitieuses du moment. Paralysé par l’absence de données sur le sujet crucial de la contamination, le monde musical a décidé de commanditer des recherches évaluant les risques réels de sa pratique, et la fiabilité des solutions proposées. Posées sur les bureaux des ministères de la culture et de la santé, ces études précieuses devraient participer à une prise de décision juste et éclairée, quant à la reprise tant attendue des activités musicales.

Fanny Reyre Menard
Fabrice Rault

Comment est née cette initiative, et avec quel objectif ?

L’univers musical a d’abord été totalement désemparé face à la pandémie. Passé le moment de sidération, nous avons réagi en posant les deux questions qui, à nos yeux, permettaient de sortir de l’impasse. Comment évaluer les risques pris durant nos pratiques, chœurs, instruments, ou orchestres ? Et de quelles façons peut-on les réduire pour se protéger ? Nous avons alors constaté qu’il n’existait aucune étude sur le sujet et avons décidé d’entamer des recherches avec des laboratoires, en restituant les résultats sous la forme de guides de bonnes pratiques à l’usage des professionnels et du grand public. Nous nous sommes également tournés vers des équipes de recherche étrangères impliquées dans les mêmes démarches (le NAMM américain, le MIA anglais) et multiplions les échanges. Une sorte d’open data, pour réunir nos forces.

Qui fait partie de cette aventure, et comment la financez-vous ?

Le monde musical tout entier est partie prenante mais le projet est le fruit d’une rencontre entre l’Itemm (l’Institut technologique européen des métiers de la musique) et le Cfsi (Chambre syndicale de la Facture instrumentale), rapidement rejoint par Les Forces Musicales, syndicat qui regroupe les orchestres et opéras français. Le Ministre de la Culture a accepté de financer une partie du projet ; le groupe Audiens et la région Ile-de-France nous accompagnent également. Enfin, la Fondation Bettencourt Schueller a apporté l’aide complémentaire nécessaire.

Quelles études concrètes commanditez-vous ?

Nous nous interrogeons à la fois sur les pratiques vocales et instrumentales, pour répondre à l’ensemble du monde musical. Dès le printemps 2020, de premières études ont permis l’élaboration de guides et de fiches très concrètes pour prévenir les risques de contamination. Un ensemble de publications qui correspondait à un vrai besoin puisque nous en sommes à plus de 38000 téléchargements ! Nous avons prolongé les recherches pour obtenir des résultats plus précis encore, en partenariat avec l’Unité des soins émergents de l’Université Aix-Marseille. Nous avons ainsi affiné nos recommandations ; notamment les bonnes pratiques autour de la désinfection des partitions et surtout des instruments, avec des méthodes et des produits spécifiques pour chacun.

Reste à tester les risques de la pratique musicale…

La troisième étape, en collaboration avec les Forces musicales, s’est intéressée aux chœurs et orchestres. Nous avons notamment mené des recherches autour des risques spécifiques en milieu confiné ou en plein air, dans une petite salle de conservatoire ou de concert… Avec des résultats identiques à ceux d’une étude japonaise démontrant que les dangers sont 18 fois moins élevés en plein air que dans un espace confiné. Dans le même temps, les études ont confirmé que les musiciens d’un orchestre devaient tous être masqués, avec une distance de 2m entre les instruments à vent.

Quels résultats spécifiques avez-vous obtenu pour le chant choral ?

Une chose est sûre, l’émission de ces fameux aérosols est plus importante avec le chant que la parole. Nous avons également observé que ces émissions sont d’une incroyable instabilité, variant selon les individus et même au fil d’une séance de chant. Partant de ce constat, nous avons recommandé, dès le 2 novembre 2020, le port du masque pour les chanteurs des chorales et une distance minimale de 2m. Ces consignes ont très vite été adoptées, sachant que l’usage du masque avait déjà été généralisé dès la fin du printemps, notamment grâce à la recommandation du réseau à Chœur Joie. Dans le même temps, nous étudions les bénéfices de masques spécifiques pour les chanteurs - évaluant efficacité, confort, effet acoustique, durabilité.

Vos différentes recommandations ont-elles permis de maintenir une certaine activité ?

Elles ont incontestablement contribué au maintien d’une pratique orchestrale et vocale. Si les conservatoires ont pu rouvrir le 15 décembre, c’est parce que nous avons apporté suffisamment d’éléments pour rassurer. Mais ce n’est pas le cas pour la pratique amateur et la situation est gravissime dans ce domaine. On le sait, la musique et le chant répondent à des besoins essentiels qui dépassent la pratique artistique. Ils sont une source d’épanouissement et d’équilibre. Un lien social et une fraternité.

Et la question du public ?

Elle est majeure et nous espérons que nos travaux, présentés au ministère de la santé et de la culture, participeront à mettre en place des solutions fiables pour envisager une réouverture des salles. Nous sommes régulièrement consultés sur la pertinence des différents projets. Notre volonté n’est pas de prendre des décisions à la place des experts médicaux et des politiques. Elle est d’offrir les bons éléments pour prendre une décision juste, et éclairée.

*PIC-PIV Protocole pour les instruments de musique face au coronavirus. Pratiques Instrumentales et vocales.

Etude avec les musiciens de l'orchestre de chambre de Paris et chœur Aedes
Lien vers les publications de l’étude PIC PIV